Les vaches, cochons, poulets, moutons, chèvres, lapins et tous les autres animaux d’élevage serviraient à « ça ». Un argument qui revient ordinairement dans les débats qui opposent les représentants de l’industrie de l’élevage et animalistes. Beaucoup de sous-entendus pour un si petit mot. Qu’est-ce que cela veut dire ?
« ça » ou la dénégation de la personne non-humaine
Tout d’abord, cela n’a absolument rien à voir avec la théorie freudienne. Cela signifie que l’animal dit de rente ne serait qu’un objet, une marchandise à qui l’on a attribué une fonction purement utilitariste et conditionnée. Celle de nourrir cette formidable espèce quasi divine qu’est Homo sapiens et de générer, comme son nom l’indique, un revenu. Cette même espèce qui peut disposer du vivant comme bon lui semble et décider, qui peut être mangé, et qui peut vivre. Cela justifie les pratiques de l’élevage jusqu’à la mise à mort, mais également la captivité, l’expérimentation, la chasse, l’exploitation de la nature, dès lors que cela à une utilité pour l’humain. Ces animaux n’ont pas d’autre vocation. S’ils vous sont utiles, vous pouvez en disposer, du moment qu’un autre Homo sapiens n’a pas posé son dévolu dessus, cela va sans dire. Une destinée qui a quelque chose d’immuable, dictée par une puissance supérieure qui semble régler d’une manière préétablie le cours des choses.
La destinée d’une vache laitière, par exemple, est de fournir un veau par année, de se voir arracher son petit dès sa naissance, d’être traite deux fois par jour pendant 300 à 330 jours par an avec son lot de problèmes comme les œdèmes, les mammites, les gerçures qui rendent l’opération désagréable, voire carrément douloureuse. Parfois et trop souvent, elles doivent faire face un éleveur peu prévenant. Lorsqu’elle ne pourra plus faire de veau, qu’elle ne produira plus assez de lait ou que la qualité ne sera pas optimale, que le rythme imposé provoquera divers soucis de santé ou tout simplement lorsqu’elle aura encore une valeur intéressante sur le marché de la viande, notre vache sera mise à la retraite. Ne vous y trompez pas, une retraite pour un animal dit de rente n’est pas synonyme d’une fin de vie paisible, mais d’une mort dans un abattoir pour ensuite être découpée et consommée. Mais ce n’est pas grave, on n’y peut rien puisqu’elle est faite pour « ça ».
Le destin d’un cochon sera d’être engraissé dans des halles, la plupart du temps sur des caillebotis, d’être castré au préalable, de vivre entassé avec des congénères dans des cases pendant 6 mois avant d’être chargé dans un camion à destination de l’abattoir. Mais ce n’est pas grave, on n’y peut rien, puisqu’il sert à « ça ».
La destinée d’un poulet sera d’être engraissé pendant une période de 30 à 90 jours avec à l’issue le même destin funeste. Les poussins mâles, issus de races pondeuses, n’auront même pas cet honneur, car ils ne sont pas intéressants sur le marché. Ils sont inutiles et donc gazés, et même broyés vivant dans certains pays, les premières heures de leur courte vie. Ce n’est pas grave, on n’y peut rien, ils sont destinés à « ça ».
La vie et la mort suspendues dans un pronom
En effet, beaucoup d’enjeux, la vie et la mort, suspendus dans un si petit et anodin mot. Deux lettres qui assoient un argument péremptoire qui permet de déculpabiliser et de clore le débat. L’utilité de l’animal et sa destinée ainsi revendiquée, tout contre argument devient inutile. La souffrance de l’animal, sa volonté de vivre bafouée, ses émotions au moment d’entrer dans le lieu d’abattage, le non-respect de sa personnalité, sont balayées d’un revers de main sans autre forme d’argumentation, sans aucune considération éthique et sans fondement scientifique ou philosophique. Cela ne compte pas puisque ces animaux servent à « ça », comme si une main invisible, un principe magique ou divin en avait décidé ainsi. Comme si cette règle dogmatique était universelle au même titre que les lois physiques de l’univers comme la gravitation ou la vitesse de la lumière. Deux lettres qui permettent d’ériger l’hermétisme au changement au rang de principe divin et toute remise en question impossible. Deux lettres qui justifient les milliards d’animaux massacrés chaque année pour notre bon plaisir et pour le bon fonctionnement d’un secteur économique. Mais ne vous offusquez pas, nous n’y pouvons rien. C’est dans l’ordre des choses, car ils servent à « ça »… et en plus ça rapporte.
En vertu de quoi, de quel principe divin, un animal n’aurait comme seule destinée l’assiette d’un humain ? Pour qui nous prenons nous lorsque décrétons unilatéralement qu’une espèce n’aura comme seul objectif de servir de nourriture ? Qu’elle devra vivre une vie de misère, captive, souvent dans des conditions qui ne respectent aucun besoin intrinsèque, aucun besoin psychologique, souvent dans la douleur, qu’elle sera modifiée génétiquement, bourrée d’aliments pour la faire engraisser le plus vite possible, gavée d’hormones et de médicaments. Lorsque nous imposons ce dogme de l’animal, et par extension de la nature, devant avant tout être valorisés d’une manière ou d’une autre, comme un produit de consommation comme un autre, comme une unique ressource économique, nous nous prenons pour dieu, ni plus ni moins. Un dieu capitaliste, égoïste, implacable, cruel et insensible. Le pire dans cela, c’est que les partisans du « ça » vous parleront de respect et d’amour de l’animal. Puisqu’on les aime et qu’on les respecte, pas de problèmes pour les mener à la mort. Et de toute manière, ils servent à « ça ». Des définitions bien commodes des mots respect et amour, qui donnent uniquement des droits, dont celui de tuer, mais peu de devoirs. Des définitions qui divergent radicalement de ce que cela sous-entend, pour nous autres humains, lorsque l’on évoque ces mots pour parler de nos relations avec nos semblables. Mais est-ce peut-être que nous ne servons sans doute pas à « ça », puisque c’est précisément nous qui décidons.
Les animaux sont des sujets de leur propre vie
Faut-il encore rappeler que les animaux sont des sujets de leur propre vie. Qu’ils ressentent des émotions similaires aux nôtres. Qu’ils éprouvent des sentiments, appréhendent le monde qui les entoure et peuvent communiquer ! Qu’ils ont un monde sensoriel qui leur est propre avec des capacités qui nous échappent à nous autres humains. Qu’ils peuvent aimer, souffrir et éprouver de la joie ! J’ai moi-même pu constater à quel point les animaux, tous les animaux, sont des êtres singuliers, qui possèdent leurs propres personnalités et avec lesquels on peut tisser des liens d’attachements réciproques puissants. Sachant cela, nous ne pouvons pas décréter qu’un animal, qu’une espèce sert à « ça ».
Notre rapport à l’animal doit changer. Nous avons affaire à des êtres qui méritent mieux que ces deux lettres, qui méritent notre empathie, notre respect dans le sens d’un sentiment de considération qui porte à les traiter avec des égards particuliers pour leur besoin le plus élémentaire : celui de rester en vie. Avec un amour qui n’est pas seulement un intérêt marqué pour quelque chose, comme un mécanicien aime les voitures, un libraire aime les livres ou un guide de montagne aime la montagne, mais comme un sentiment d’affection, de tendresse inconditionnelle qui nous pousse à protéger l’être aimé contre toute atteinte à son intégrité. Des définitions des mots respect et amour qui ne ressemblent en rien à cela au regard des conditions dans lesquels ces animaux vivent et meurent. Il est temps d’abandonner les formules toutes faites qui donnent un message faussé sur les notions de respects et d’amour. Il est temps de lutter contre le déni pour le droit des animaux à disposer d’eux-mêmes et de leur propre vie. Il est surtout temps de renier les dissonances cognitives et de joindre les actes aux mots : NON, on ne tue définitivement pas ceux qu’on aime et qu’on respecte.
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