Les véganes : « ces nazis de la cause animale » ou l’art de détourner une question pour éluder le vrai débat.

Des arguments récurrents apparaissent souvent dans les débats sur les questions autour du véganisme. Les véganes veulent imposer leur mode de vie au reste de la population. Ces personnes méprisent tous celles et ceux ce qui ne pensent pas comme elles, ce qui en ferait un mouvement totalitaire. En ce qui me concerne, on m’a à plusieurs reprises traité directement ou indirectement de nazi, parfois le fait de proches estimés. Pour celles et ceux que ça étonne, oui vous avez bien lu.

Ce qui est amusant, c’est qu’en parallèle on parle aussi de mode. Si tel est le cas, pourquoi les pourfendeurs du véganisme, que j’appelle également les véganophobes, réagissent-ils aussi violemment pour un phénomène qui va et qui vient ? Pourquoi un tel déferlement de haine — car traiter un humain de nazi c’est bien une manifestation hostile — contre des personnes qui plaident juste pour un monde qui diminue autant que possible la souffrance envers le règne animal ? Seraient-elles inquiètes  et dénuées d’empathie ?

« ce mouvement (le véganisme) ne se réduit pas à un régime alimentaire en allant bien au-delà. »

Nous allons parler ici de véganisme et ses représentants, les « véganes », pour simplifier la lecture. Mais cela concerne plus largement les mouvements animalistes, antispécistes, de fait végétaliens — quoique pas toujours —, et autres défenseurs de la cause animale abolitionnistes, sous-entendus qui militent pour un monde sans exploitation animale. Nous n’allons pas aborder les différences de ces mouvances. Peu importe l’étiquette, ils sont très souvent intimement liés. Leurs détracteurs, ne discernent généralement pas leurs subtilités, amalgament ces personnes sans distinction. Précisons toutefois pour les néophytes que ce mouvement ne se réduit pas à un régime alimentaire en allant bien au-delà. J’irai même plus loin, la diète alimentaire devrait être en principe une conséquence de la réflexion éthique. 

Une idée moralisatrice ?

Tout d’abord, si l’on ne peut exclure que quelques « véganes » soient méprisant.e.s, moralisateur.trice.s ou souhaitent imposer, par la « force » si nécessaire, un mode de vie exempt de toute exploitation animale, ces personnes ne sont de loin pas une majorité, mais plutôt une supposée minorité dans la minorité. Je n’en ai tout simplement jamais rencontré. En plus d’être « véganes », une grande proportion est également pacifiste et plaide contre toutes les formes de discriminations.

« pour franchir le pas et assumer ce mode de vie face à la pression sociale, il faut des convictions solides et une certaine détermination. »

Le « véganisme » reste aujourd’hui une minorité, mais est perçu pour beaucoup, à tort ou à raison là n’est pas le propos, comme un militantisme politique. Il est vrai que pour franchir le pas et assumer ce mode de vie face à la pression sociale, il faut des convictions solides et une certaine détermination. Cela en fait un mouvement de personnes émancipées du poids des traditions, de ces pressions sociales et surtout qui remettent en question le mode de vie de la majorité par le simple fait d’exister, souvent avant même de l’ouvrir. 

Le principal tort des « véganes » : exister

Aux yeux des véganophobes, ce simple fait constitue déjà un impair et agace au plus haut point. Ils et elles ont le culot et l’outrecuidance d’exister en plus de joindre les actes à la parole. Il suffit de constater les réactions épidermiques de certaines de ces personnes. Il m’est même arrivé de me confronter à des propos très agressifs avant même que mon interlocuteur ne découvre que j’en étais.

En effet, lorsque je me présente, je ne dis jamais : « hey, moi c’est J-M, je suis hétéro, cisgenre, groupe sanguin O— . Ah oui et végane, personne n’est parfait… ». Des discussions dans lesquelles on est passé sans transition du conflit israélo-palestinien, de la politique étrangère des États-Unis ou de la plongée en apnée sous glace, au cri de la carotte et autres « inconséquences véganes ». À croire que le « véganisme » énerve encore plus que certains sujets hautement sensibles et hante les pensées de ces personnes.  

« Ils et elles ont le culot et l’outrecuidance d’exister en plus de joindre les actes à la parole. »

Et pour cause, la bataille des idées fait peur aux véganophobes, car non seulement elle fait son chemin dans la population, mais les scientifiques corroborent les arguments éthiques et écologiques en faveur d’une transition. Les preuves de la sentience des animaux s’accumulent à travers une masse colossale de données. Les désastres environnementaux engendrés par l’élevage, particulièrement les modes intensifs nécessaires pour soutenir notre consommation frénétique, ainsi que la surpêche ne sont plus à démontrer.

L’empathie : le penchant humain qui pourrait changer les choses

L’empathie naturelle des humains commence à prendre le dessus sur l’envie d’absorber des produits d’origine animale. Je reçois de nombreux témoignages de personnes qui se posent de plus en plus de questions. Des individus qui ont de plus en plus de peine à assumer leur part de responsabilité dans la mort d’un être sensible et le mal être qui en découle pour se nourrir. Des personnes qui disent admirer la détermination des militant.e.s, parfois même parmi des amateurs de bonne chère. Pour d’autres, l’idée de tuer un être vivant sentient est une évidente injustice, mais la pression sociale ou l’attrait pour leur produit reste trop fort pour franchir le pas. 

Les mœurs évoluent, lentement certes, mais elles progressent et il y a de quoi se réjouir. Le « véganisme » remet clairement en question l’ordre établi et interroge les fondements de notre société dont les traditions et les valeurs sont au centre, et ce sans même faire acte de militance. Des associations révèlent la réalité de l’exploitation animale au grand jour, auparavant cachées dans l’intimité des fermes, et cela fait mal. Lorsqu’on persiste à s’accrocher à un modèle dépassé, cette douleur génère des réactions agressives et parfois violentes.

« Le « véganisme » remet clairement en question l’ordre établi et interroge les fondements de notre société dont les traditions et les valeurs sont au centre, et ce sans même faire acte de militance. »

Les militant.e.s « véganes », qu’ils ou elles organisent des actions de désobéissance civile ou agissent uniquement par le biais de leurs actes de consommation silencieusement dans leur cuisine, proposent en effet un autre modèle de société en rupture avec les traditions, qu’elles soient culturelles ou culinaires, communément admises : une redéfinition des normes régissant les relations entre humains et non humains. Cette simple constatation serait une forme de totalitarisme de la pire espèce. Manger exclusivement du tofu, de la salade ou du quinoa pour reprendre quelques clichés courants et fallacieux ferait de vous un terroriste. Militer serait un synonyme d’imposer. Exprimer ses convictions, ou pire tenter de convaincre, serait un manque de respect et de tolérance.

Et qui plus est, joindre les actes à la parole, y compris lors d’un repas de famille chez grand-maman ou chez des amis, serait un affront ultime et une preuve d’extrémisme. Les « véganes » sont en effet beaucoup moins sympas que les flexitariens qui mangent ce qu’ils ont dans leur assiette sans discuter et ne vous rappelle pas que la blanquette de mamie était à l’origine un bébé animal qui ne demandait qu’à vivre. Dans le même temps, si l’on cédait à la pression en mangeant un morceau du fameux rôti de tata Jocelyne nous serions taxés d’incohérence. Vive la double contrainte ! Quant à oser proposer que ce soit salutaire que plus d’humains en fassent de même, là on atteint des sommets d’infamie. 

Militer : un synonyme d’imposer ?

Étrange raisonnement pour des gens qui, en invoquant des régimes totalitaires, semblent précisément défendre un système qui garantit une liberté de choix et d’expression, une diversité politique, philosophique, culturelle et idéologique. Si l’on suit les véganophobes dans leur argumentation, lorsqu’ils accusent le « véganisme » d’être une idée tyrannique, n’importe quel politicien.ne, où qu’il se situe sur l’échiquier politique, n’importe quel.le militant.e associatif, seraient des dictateurs en puissance. N’importe quel projet qui entre dans le débat public tenterait donc d’imposer sa vision du monde. Qu’un parti propose des lois visant à aider les plus pauvres, à mettre en place un système de retraite ou d’assurances sociales, à déréguler les marchés, à baisser ou augmenter les impôts, à soutenir les familles ou encore à préserver l’environnement, l’idée serait donc la même : imposer sa vision du monde.

« Quand je suis traité de nazi, car je défends un autre modèle de société, j’ai tendance à répondre par l’affirmative, car ce faisant, on tente précisément de me faire taire par la force et la violence des mots. On me refuse ainsi le droit démocratique de remettre en question le modèle dominant. »

Et que dire de nos processus démocratiques ? Lorsqu’un référendum passe avec 50,5 % des voix n’est-ce pas à peine plus de la moitié des 40 % des gens qui votent en moyenne en Suisse qui dictent leurs visions aux autres ? Partant de ce raisonnement, et cela n’engage que moi, le système en place m’impose un nombre important d’idéologies auxquelles je n’adhère pas et que je conteste. Est-ce que je vis dans une dictature pour autant ? Quand je suis traité de nazi, car je défends un autre modèle de société, j’ai tendance à répondre par l’affirmative, car ce faisant, on tente précisément de me faire taire par la force et la violence des mots. On me refuse ainsi le droit démocratique de remettre en question le modèle dominant. Quant au capitalisme, il impose son dogme impitoyable envers la nature et les animaux humains et non-humains, c’est indéniable.

Quand l’hôpital se fout de la charité

Considérer l’expression et la pratique d’une idée, d’une idée de modèle de société, d’une réflexion éthique comme totalitaire. La dénigrer sans autre forme de procès ou avec des arguments malhonnêtes et des procès d’intention ne serait-ce pas précisément là une forme de totalitarisme ?

Sans avoir la prétention de répondre à cette question, et surtout ne voulant pas m’abaisser à ce genre de manoeuvres, ces accusations sont bien la manifestation d’une stratégie visant à faire taire par tous les moyens et surtout à discréditer les militant.e.s pour la cause animale en jouant sur la peur. Car le débat dérange et oblige à se mettre dans une position très inconfortable dès lors que l’on envisage se pencher sur la question avec honnêteté, franchise, ouverture d’esprit et que l’on accepte de remettre en question l’ordre établi.

« ces accusations sont bien la manifestation d’une stratégie visant à faire taire par tous les moyens et surtout à discréditer les militant.e.s pour la cause animale en jouant sur la peur. »

Dès lors qu’on veut bien remettre en question ses pratiques et que l’on met le côté émotionnel et économique pour s’intéresser à l’aspect éthique. Une éthique qui considère les non humains comme nos égaux en termes de droits fondamentaux, leurs droits à être les sujets de leur propre vie et à disposer d’eux-mêmes, car ils sont capables de ressentir les expériences positives et négatives ainsi que les nuisances que leur procure leur statut de « marchandise » consommable : autrement dit leur sentience. Leurs droits à ne pas vivre le destin forcé d’une vie programmée par un compte à rebours mortel initié dès leur naissance. 

Discréditer le messager pour décrédibiliser le message

Les analogies avec les pires régimes comme le nazisme ou même le terrorisme sont faites pour annihiler toute réflexion et surtout toute la crédibilité des militant.e.s. Comme cela est souvent avancé, ce sont des extrémistes. Il ne faut donc pas les écouter — un peu comme un enfant qui se bouche les oreilles en parlant fort ne veut pas entendre ce que sa maman a à lui dire. C’est exactement ce que cherche à faire les détracteurs : que les militant.e.s ne soient pas écoutés, pas pris au sérieux et rejetés. Ils détournent l’attention du vrai débat, diluent le vrai message, créent des théories basées sur des procès d’intention.

Des épouvantails qui déclenchent des peurs viscérales en dénigrant le mouvement et en les comparant aux pires régimes, aux pires idéologies. Un écran de fumée pour ne pas avoir à se confronter au vrai débat, à la vraie question : l’humain doit-il changer sa relation au monde animale et limiter autant que faire se peut la souffrance qu’il inflige aux non-humains, pour son bon plaisir ? Pour cela, il faudrait commencer par admettre la souffrance infligée aux animaux, consensus contre lequel les véganophobes vont mettre toute leur énergie à combattre.

« Des épouvantails qui déclenchent des peurs viscérales en dénigrant le mouvement et en les comparant aux pires régimes »

Quiconque se trouvant dans l’inconfortable confrontation entre son empathie et ses traditions, entre deux valeurs suprêmes qui entrent en contradictions, les fameuses dissonances cognitives, a tôt fait de tomber dans le piège et choisir la politique de l’autruche. La psychologie humaine est ainsi faite et les véganophobe le savent bien. Ainsi discrédités, ainsi mis au ban de la société, relégué au statut de relent d’humanité, les militant.e.s n’ont plus à exprimer leurs opinions, car ce sont des extrémistes de la pire espèce, des terroristes nazis. Des gens qui vous voudraient du mal. Des individus qui remettent votre mode de vie et votre liberté en question. Des tyrans qui souhaiteraient pendre les bouchers sur leurs propres crochets, condamner les éleveurs aux travaux forcés et lyncher sur la place publique tous celles et ceux qui oseraient manger un steak ou un morceau de fromage.

Des gens qu’il ne faut surtout pas écouter. Pour reprendre l’actualité, le message que ces personnes tentent de faire passer, c’est qu’entre instaurer un jour sans viande dans les cantines et rouvrir les chambres à gaz, il n’y a qu’un petit pas. « Vous rendez-vous compte de ces malheureux chérubins, privés de bidoche une fois par semaine, subissant ainsi le joug des véganes extrémistes… ». Par pitié, restons un peu sérieux et revenons aux vraies problématiques soulevées par les mouvements animalistes. Cessons de succomber à cette hystérie. À tout tous celles et ceux qui utilisent ce procédé, qui font ces basses analogies avec nazisme, terrorisme et autres horribles régimes, je dis que vous êtes des malhonnêtes dont la paresse intellectuelle n’a d’égale que votre mauvaise foi.

Ne tombons pas dans le piège

Cessons d’éluder les questions éthiques à travers des diversions fallacieuses et bien trop souvent malhonnêtes pour ne pas avoir à aborder les questions qui sont soulevées et qui dérangent. Ces questions qui mettent de plus en plus d’êtres humains empathiques faces à leurs dissonances cognitives. 

Que les pourfendeurs d’un monde sans cruauté animale — ou plutôt devrais-je dire avec moins de cruauté dont nous sommes responsables — se rassurent, nos processus démocratiques nous protègent d’une « prise de pouvoir » — éventuellement sanglante — de « l’extrémisme végane ». Et puisqu’on parle d’extrémisme, l’idée taxée d’extrême aujourd’hui est celle qui propose d’offrir moins de souffrance et pas celle qui massacre et fait souffrir des milliards d’êtres vivants qui plus est au-delà de ce que les écosystèmes peuvent supporter. Nous la ferait-on à l’envers ? Quoiqu’il en soit, je vois mal comment une minorité d’à peine 4 % de la population aurait les moyens de commettre un tel « push ». Une minorité qui, comme d’aucuns aiment à le dire, fait beaucoup de bruit. Alors, pourquoi s’en inquiéter ? Car c’est une minorité qui sort du bois, qui fait valoir ses idées avec lesquelles il faudra dorénavant compter.

« quand vous faites une action, si elle fait du bruit, c’est que vous êtes dans la bonne direction. »

Paul Watson

Cela rappelle d’autres luttes précurseuses en leur temps comme l’abolition de l’esclavage, les droits civiques, le droit des femmes, etc. Ces mouvements, qu’aucune personne socialement intégrée ne pourrait remettre en question de nos jours, étaient également vilipendés en leur temps. En somme une étape normale de tout processus militant visant à remettre en question l’ordre établi que la vieille garde — et la moins vieille — n’a aucun intérêt à voir changer. Ces campagnes de dénigrement contre le « véganisme » sont dans le fond un bon signe. Elles révèlent que cette conception des rapports humains/non-humains ne peut plus être considéré comme une lubie ou une mode, mais comme un mouvement qui va grandir et, qui sait, peut-être s’imposer de lui-même dans quelques générations et justement sans aucune force. En quelque sorte le pire scénario pour les véganophobes.

En attendant ce jour, qui ne viendra peut-être jamais, je fais partie des personnes qui vont imposer une seule chose : le débat et la réflexion autour de l’éthique animale tans pis pour celles et ceux que ça énerve et qui ne veulent pas qu’on leur rappelle que derrière leur steak ou leur fromage, il y a un animal qui subit la loi des humains.

En guise de conclusion, je paraphraserai Paul Watson qui a dit la phrase suivante : « quand vous faites une action, si elle fait du bruit, c’est que vous êtes dans la bonne direction. »