Qu’est-ce que l’élevage intensif ? Ma réponse à Martin Rufer, directeur de l’Union Suisse des Paysans

Ancien éleveur devenu fervent défenseur de la cause animale, je réagis à votre éditorial « qu’est-ce que l’élevage intensif ? » du 24 septembre 2021 dans agrihebdo.

Monsieur Rufer, vous relevez avec justesse la question morale et éthique que va soulever l’initiative « pas d’élevage intensif en Suisse ». Vous soulevez également l’intérêt grandissant de la population pour les questions de bien être animal. Vous semblez donc parfaitement comprendre la problématique soulevée par les initiant.e.s. 

Définition

On peut disserter et parler sémantique sur la définition de l’élevage intensif : élevage industriel, hors-sol, efficience, charge, bien-être animal, comme vous semblez le faire, mais là n’est pas le propos. Je suis, par ailleurs, assez en accord avec celle des initiant.e.s qui, au-delà de l’atteinte au bien être animal systématique, proposent également, avec justesse, l’idée de productivité la plus efficace, concept que vous éludez.

Là est pourtant une information fondamentale à retenir, car, dans le fond, porter atteinte au bien être des animaux est la définition, la finalité, de l’élevage qui plus est dans les élevages dits intensifs. La définition que vous retenez — en déclarant qu’« il n’y a pas d’atteinte systématique au bien-être animal et, partant, pas d’élevage intensif dans notre pays » et donc en relevant uniquement ce critère de la définition des initiants — est en réalité un pléonasme.

En effet, comme vous le savez, mais semblez l’oublier, chaque animal dans un élevage est prédestiné à une mort programmée par le produit qu’il va fournir. Une mort systématiquement prématurée, largement en dessous de l’espérance de vie naturelle de ces animaux, la plupart du temps dans ce qu’on pourrait qualifier d’adolescence. Le tout après une courte vie de misère. Tout cela, vous le savez déjà, Monsieur Rufer. Doit-on en déduire que vous vivriez dans des conditions similaires à celles d’un cochon dans une halle d’engraissement ? J’en doute fort.

plus la productivité est importante, plus les animaux souffrent. Seule la « non productivité » peut garantir le bien-être animal.

Productivité et bien-être sont intimement liés et le bien-être des animaux dits de rente est inversement proportionnel à la productivité. En d’autres termes, plus la productivité est importante, plus les animaux souffrent. Seule la « non productivité » peut garantir le bien-être animal. Mais vous devez selon toute vraisemblance être de ceux qui pensent que tuer un animal, le prédestiner à cette mort programmée, le priver de son autodétermination ne compromet pas son bien-être. 

Exemple de détention de poules dans un élevage intensif (image 24 heures)

La pensée magique comme argument

Malgré votre compréhension notoire des problèmes sociaux soulevés par l’initiative, vous les éludez d’un revers de main, en ignorant la question de la productivité et en déclarant tout simplement qu’il n’y a pas d’élevage intensif en Suisse, car les familles d’agriculteurs et d’agricultrices prennent soin de leurs animaux en toute âme et conscience. Que les animaux dans notre pays ont la vie belle ! Circulez il n’y a rien à voir.

Votre procédé est pour le moins grossier, mais ne surprend guère. En effet, vous retenez une partie de la définition. Celle qui vous convient pour faire passer votre message pour ensuite faire des déclarations péremptoires, également arrangeantes et complaisantes, qui achève de balayer la question de fond. Un peu comme s’opposer à une loi protégeant les enfants maltraités en déclarant que ça n’existe pas, car les parents s’occupent de leurs enfants en toute âme et conscience.

Monsieur Rufer, le monde n’est pas comme il vous convient de l’imaginer. Une simple déclaration ne suffit pas pour qu’il se transforme à votre image. En d’autres termes, je peux désirer ardemment vouloir voler en déclarant que c’est possible, mais si je me lance d’une falaise, ce désir ne m’empêchera pas de m’écraser lorsque je rencontrerai le sol. Monsieur Rufer, le concept de pensée magique disparaît en principe à l’âge de 7 ans. Dans quel monde vivez-vous ? 

je peux en témoigner à travers mon expérience dans le milieu, ne vous en déplaise, la maltraitance envers les animaux, tout particulièrement dans les élevages dits intensifs, est O-M-N-I-P-R-E-S-E-N-T-E, bien souvent exercée de manière inconsciente et même institutionnalisée.

La réalité des élevages

Le monde n’est en effet pas toujours comme on aimerait qu’il le soit et je peux en témoigner à travers mon expérience dans le milieu, ne vous en déplaise, la maltraitance envers les animaux, tout particulièrement dans les élevages dits intensifs, est O-M-N-I-P-R-E-S-E-N-T-E, bien souvent exercée de manière inconsciente et même institutionnalisée. Je ne peux vous décrire toutes les « techniques » douloureuses et parfois violentes que j’ai apprises dans ma formation et ma vie d’agriculteur (souvent de manière informelle).

Vous oubliez également que l’écrasante majorité des animaux en Suisse sont élevés dans des élevages que l’on peut qualifier d’intensifs, notamment les cochons et les volailles que vous citez justement, mais également beaucoup de ruminants, bien loin de l’image d’Épinal que l’on essaie de vendre aux gens avec un marketing bien ficelé, des vaches dans de beaux pâturages aseptisés et des formules toutes faites qui ménagent surtout la conscience des humains faute de soulager la réalité camouflée des animaux. Ces derniers, dans les exploitations intensives, subissent des méthodes d’élevage dans lesquelles le bien être n’a pas le droit de citer si ce n’est de manière purement rhétorique pour ne pas dire politique.

Un bien-être (…) qui ne se manifeste que par des mesures cosmétiques plus utiles aux humains, éleveu.r.se.s et consommat.eur. rice.s. Leur bien-être (des humains) est ainsi bien respecté surtout en soulageant leurs consciences et leurs dissonances cognitives. Des mesures alibis qui apportent beaucoup plus de contraintes aux agricult.eur.rice.s que de bien-être aux animaux. Une priorité qui, il faut le dire, se monnaie aussi souvent à travers des subventions.

Un bien-être, une priorité comme vous le mentionnez, qui ne se manifeste que par des mesures cosmétiques plus utiles aux humains, éleveu.r.se.s et consommat.eur. rice.s. Leur bien-être (des humains) est ainsi bien respecté surtout en soulageant leurs consciences et leurs dissonances cognitives. Des mesures alibis qui apportent beaucoup plus de contraintes aux agricult.eur.rice.s que de bien-être aux animaux. Une priorité qui, il faut le dire, se monnaie aussi souvent à travers des subventions. En toute âme et conscience ? Vraiment ? 

Porcherie sensée respecter de hauts standards de bien-être animal selon un éleveur interrogé par 24 heures.

Bien-être et productivité

Toujours en partant de la définition que vous tentez d’éludez, la productivité et par ricochet la raison économique seront toujours prioritaire sur le bien être animal comme ce que j’ai pu constater dans TOUS les élevages dans lesquels j’ai travaillé, visité ou côtoyé qu’ils soient intensifs, conventionels ou même bio, le mien inclut. Ce sont elles qui dictent et programment la vie et la mort des animaux dits de rente ainsi que leurs conditions de vie. En effet, dans une agriculture en quasi-faillite maintenue artificiellement par 3 milliards de francs annuels d’argent public — vous le savez également – en partie pour s’accrocher à du folklore, les agricult.eur.trice.s ne peuvent que se résigner et ignorer leurs sentiments pour les animaux qu’ils exploitent pour les plus soucieux.

Ils et elles sont également victimes du conditionnement qui les amène à considérer l’animal comme servant à « ça » sous entendu à la merci de l’humain qui peut en faire usage comme bon lui semble et rien d’autre, érigeant le massacre de masse en norme. J’ai beaucoup de compassion pour ces éleveurs et éleveuses qui doivent se conformer à un système qui va à l’encontre de leurs sentiments et intuitions. Celles et ceux qui avouent éprouver un malaise lorsqu’ils doivent trahir l’animal non humain en le menant au couteau.

Toutefois, au risque de vous choquer, mais je dois le dire également, pour une majorité, tout particulièrement celles et ceux qui exploitent des animaux de manière intensive, le bien-être animal est le cadet de leur souci. Ces bêtes ne sont que des produits commercialisables et parfois des faires valoir qui mettent en avant leurs compétences zootechniques, souvent remarquables il faut l’admettre, rien de plus. 

Des animaux qui (…) sont des êtres capables de vivre consciemment des expériences négatives ou positives, sont capable d’être les sujets de leur propre vie, ressentent des émotions et sentiments complexes, éprouve la douleur physique et psychique, l’empathie, ont des compétences cognitives comme la métacognition, la conscience d’eux-mêmes, l’inférence transitive, la théorie de l’esprit, les mémoires sémantiques et épisodiques.

Et les animaux dans tout ça ?

Je ne suis guère étonné par votre position contre cette initiative qui faute d’être parfaite, apporterait un léger mieux pour les animaux exploités dans des endroits que l’on ne peut plus cautionner aujourd’hui sur le plan éthique à la lumière de ce que l’on connaît sur eux. Des animaux qui, vous semblez l’oublier, sont des êtres capables de vivre consciemment des expériences négatives ou positives, sont capable d’être les sujets de leur propre vie, ressentent des émotions et sentiments complexes, éprouve la douleur physique et psychique, l’empathie, ont des compétences cognitives comme la métacognition, la conscience d’eux-mêmes, l’inférence transitive, la théorie de l’esprit, les mémoires sémantiques et épisodiques.

J’arrête ici, car la liste est longue. Je pourrais vous fournir toutes les sources scientifiques qui corroborent mes propos, mais il me faudrait plusieurs mois pour en recenser une infime partie tant la masse de données est importante. Les mythes du propre de « l’homme », de l’animal-machine de Descartes ou de l’animal pauvre en monde de Heidegger sont tombés depuis bien longtemps, Monsieur Rufer mais ça, vous allez sans doute l’éluder aussi.

Instant pris au sanctuaire de l’association co&xister et que vous ne verrez jamais dans un élevage intensif. Les regards parlent d’eux-mêmes.

Toutefois, tout en vous renvoyant malgré tout à la déclaration de Cambridge que vous trouverez facilement, je vous propose d’aller à la rencontre de ceux que l’on qualifie de rentes. Pas la pseudorencontre dont vous avez sans doute l’habitude dans des journées porte ouverte à la ferme ou lors d’une visite technique et dans lesquels la plupart des gens ne font que passer à côté l’être. Je vous parle de la rencontre dans laquelle vous plongez vos yeux quelques instants dans leur regard, le cœur ouvert, avec sincérité et envie d’y voir autre chose qu’un steak à pattes, une escalope, une usine à lait, un organisme ou une source de revenus.

La volonté de reconnaître l’individu singulier et sa valeur intrinsèque, non sa valeur marchande. La volonté de ne pas être le porte-parole d’une profession à l’agonie qui ne correspond plus aux réalités éthiques et écologiques de notre époque. D’y voir la volonté de vivre qui les anime, mais aussi l’amour, l’innocente sincérité, leurs singulières personnalités.

Cette étincelle indescriptible qui touche au plus profond de notre âme. Dans cette posture, la rencontre, la vraie, sincère et bienveillante, sans faux semblants, sans masques, son costume de zootechnicien ou d’ingénieur agronome au vestiaire, vaut mille heures de lecture scientifique, mille débats, courrier ou autre verbiage. Je connais bon nombre de personnes qui n’en sont pas revenues et serait bien incapables, après cette expérience, de tenir le couteau qui les saignera le cœur encore battant. En serez-vous Monsieur Rufer ? Oserez-vous ce type de rencontre ? Je vous fournirai avec plaisir les adresses de lieu où des êtres, que notre société a qualifiés de rentes, sont redevenus les sujets de leur propre vie et où l’on peut oser cette rencontre que je viens de décrire.

En Suisse, nous avons la prétention d’avoir la législation la plus avancée en la matière. Facile lorsque l’on se compare au néant. Je sais mieux écrire qu’une amibe, qu’un nématode ou qu’un échinoderme. Cela ne fait pas de moi le prochain prix Nobel de littérature Monsieur Rufer.

Et vous ?

Pour conclure Monsieur Rufer, vous aller combattre, sans surprise aucune, l’initiative et y mettre les moyens pour ce faire, quitte à user de tous les subterfuges fallacieux habituels et en occultant la réalité des animaux que l’on massacre pour notre bon plaisir avec des formules toutes faites qui, au passage, flattent vos affilié.e.s et le lectorat d’agrihebdo. Sachez que je serai un porte-parole pour les animaux des élevages intensifs, lieux dans lesquels le simple fait de parler de bien-être est un oxymore.

Contrairement à vous, je n’ai rien à gagner, juste beaucoup d’énergie à dépenser, de sueur et d’adversité. Mais je le ferai, car j’ai expérimenté l’ignominie des élevages dits intensifs, mais également celle des élevages que je qualifie de cartes postales et que vous citez en exemple, comme norme bien entendu trompeuse alors qu’elle s’apparente plus à l’exception. Car j’ai fini par écouter mon cœur plus que la raison que le système a tenté de m’inculquer dans la douleur. Je le ferai pour celles et ceux que j’ai envoyés au couteau et également celles et ceux qui m’ont bouleversé en croisant ce regard que j’ai décrit précédemment. Je le ferai surtout pour tous celles et ceux qui ont été réduits à de simples produits marchands, à un esclavage impitoyable qui tente de se donner une image présentable.

En Suisse, nous avons la prétention d’avoir la législation la plus avancée en la matière. Facile lorsque l’on se compare au néant. Je sais mieux écrire qu’une amibe, qu’un nématode ou qu’un échinoderme. Cela ne fait pas de moi le prochain prix Nobel de littérature Monsieur Rufer. Les vaches, moutons, cochons, chèvres, poules et tous les autres valent infiniment plus que ce statut qu’on leur a attribué et s’ils avaient leur autodétermination, ne choisirai pas de mourir prématurément pour nous autres humains. Par ailleurs, pour paraphraser un grand monsieur qui m’est cher, trouver en moi un ou une seul.e qui n’est pas d’accord avec moi et j’arrête le combat. Donc OUI à la menue amélioration de la condition animale que propose l’initiative pour une Suisse sans élevage intensif.

https://elevage-intensif.ch