Depuis plusieurs millénaires, l’humain tente de domestiquer la nature. Nous avons rasé des forêts, asséché des milieux humides, détourné des rivières, endigué la mer, chassé la faune sauvage, modifié les cycles de l’eau, du carbone, de l’azote, vidé les océans de leurs habitants, modifié le climat, bétonné, parcellé le territoire, soumis des espèces sauvages, manipulé la vie, transformé le vivant. La démarche s’est considérablement accélérée avec la révolution industrielle. Aujourd’hui, nous devons nous rendre dans des contrées très reculées pour observer les derniers bastions de nature libre et vierge. Ces derniers endroits dans lesquels, Homo sapiens ne règne pas en maître, où il n’impose pas son joug. Ces derniers espaces où seules les lois de dame nature prévalent : les constantes fondamentales immuables du cosmos qui définissent les propriétés de ces lois naturelles. Ces espaces en sursis pour avoir la malchance d’avoir une valeur marchande. Dans nos contrées industrialisées, ces étendues réellement sauvages n’existent pour ainsi dire plus ou ne sont que des poches, des « villages d’irréductibles », maintenus artificiellement, au milieu des légions d’humains en mal de conquête et d’espace vital pour son développement. Cette espèce qui dévore l’espace et la vie irrémédiablement. Même derrière les panneaux « réserves naturelles », se cache une nature bien docile, tirée au cordeau, où pas une branche, pas un brin d’herbe ne dépasse, et dans laquelle les animaux n’ont cas bien se tenir. Les « rebelles », ceux qui osent entraver la bonne marche des affaires, la sacro-sainte croissance, les lois du marché, ou parfois juste l’égo d’un humanoïde prétentieux, cruel et égoïste, sont éliminés sans autre forme de procès. Ce monde dominé par la compétition, le capital, l’individualisme et le matérialisme. Ce monde où tout, absolument tout, doit être exploité et transformé en produit à haute valeur ajoutée. Cette philosophie érige les règles, lois, principes, conventions et doctrines des humains au rang de dogme. Elle pense que les lois naturelles y sont subordonnées et pourtant…
La nature à son propre ordre. Certes, un ordre qui n’a rien à voir avec l’idée que l’on s’en fait communément, mais derrière l’apparent chaos de la nature, « la jungle », se cache un environnement beaucoup plus structuré que ce que l’on imagine. Derrière les fourrés, les broussailles, les herbes hautes, les tas de branches, les arbres morts se cachent des lieux de vie, des garde-mangers et des abris pour le vivant. Chaque plante, animal, champignon, protozoaire, chromiste ou bactérie y a une fonction déterminée. Cette diversité d’espèce est capitale dans les processus naturels et la seule garante d’une capacité de résilience de notre environnement face aux perturbations de tout genre.
Les seules règles immuables sont les celles de la nature. Penser que nous pouvons nous en affranchir est une folie sans nom. Vouloir exploiter le moindre are de terre, la moindre parcelle de forêt, le moindre animal est une bêtise. Nous dépendons de notre environnement pour vivre qu’on le veuille ou non. Notre intérêt est de soigner cette nature nourricière, mais également de la laisser vivre et suivre son propre dessein intimement lié au nôtre. Nous vivons dans un monde fini, c’est à dire qui possède un capital ressource limité. Notre planète est donc comme un vaisseau spatial qui a été doté d’une quantité x de matériel et de nourriture avant d’avoir été envoyé dans le cosmos. Ce vaisseau ne sera jamais ravitaillé. Dans ce dernier, une diversité de profils spécialisés sera nécessaire. Nous aurons besoin d’ingénieurs capables de faire fonctionner les dispositifs qui produiront notre oxygène, recycleront notre eau, enrichiront nos sols, réguleront la température, etc. De personnes qualifiées qui entretiendront les structures, qui feront pousser notre nourriture, la transformeront, traiteront nos déchets, assureront la pollinisation, soigneront les malades, etc., etc., etc. Enfin, tous ces profils de personnes dépendront les uns des autres. Si l’ingénieur responsable des dispositifs de production de l’oxygène n’est plus en mesure de faire son travail, tout le monde meurt asphyxié. Si c’est l’agriculteur, tout le monde meurt de faim et ainsi de suite. Le vaisseau ne peut fonctionner si l’on supprime un seul de ces profils, car tous sont interdépendants indépendamment des richesses qu’ils vont produire. Il en est de même pour notre planète. Le phytoplancton, les forêts primaires, les insectes, la faune sauvage, etc. ne produisent pas de richesse, directement, mais des services inestimables qui nous permettent, au-delà de l’aspect économique, de survivre.
Il faut bien comprendre que ces trois lois : diversité des espèces, interdépendance entre ces dernières et ressources limitées sont immuables. Nous ne survivrons pas sur cette planète sans vers de terre, sans krill, sans bourdons, sans moustiques.
Notre qualité de vie ne va plus dépendre de la croissance du PIB, ce mythe désuet hérité d’une époque révolue, ni même du chiffre apparaissant sur votre compte en banque, mais de la santé des écosystèmes. L’argent, l’or et les actions en bourses ne sauveront personne lorsque les écosystèmes s’effondreront au profit d’une économie aux objectifs « court termiste ». Les espaces vierges où s’épanouit une biodiversité indomptée ont bien plus à nous donner que ce que l’on imagine. La biodiversité nous apporte des services et des bienfaits, gratuits, mais qui sont inestimables. Notre vie en dépend tout simplement. Détruire la biodiversité comme nous le faisons est un suicide. L’humanité est aux commandes d’un avion qu’elle précipite vers le sol et dont les passagers sont toutes les espèces du vivant. Certaines survivront au crash, mais une fois de plus, les lois de la physique ne permettront pas à l’humanité de survivre au choc.
Changeons notre regard sur la nature et le vivant. Apprenons à faire avec elle, pour elle, en considérant que nous en sommes une composante au même titre que les arbres, les plantes, les animaux et tout le reste du vivant. Changer notre regard sur la nature, considérer que tout ne doit pas être exploité, qu’elle soit précieuse comme la prunelle de nos yeux, qu’un arbre tombé au sol ne soit pas nécessairement un meuble, une bûche pour le chauffage ou de la matière première pour fabriquer du papier, qu’un banc de poissons, un cerf ou un animal dit de rente n’est pas de la nourriture, que les animaux sont des êtres sentients qui méritent d’être considérés, qu’ils font partie d’un tout indissociable, n’est pas seulement une nécessité éthique, philosophique ou idéologique, mais également une question de survie. Homo sapiens doit retrouver sa place dans le règne animal et dans son environnement. L’humanité doit comprendre qu’elle doit arrêter de vouloir maitriser, contrôler, domestiquer, exploiter, façonner la moindre parcelle de nature. Elle doit également comprendre que lorsqu’elle prend elle doit donner en retour.
Pour voir un aperçu de nature libre, je vous invite à vous rendre dans le parc national suisse dans les Grisons. Vous verrez à quoi ressemble une nature qui n’a pas été exploitée depuis 1914 et dans laquelle la seule activité humaine autorisée est la contemplation. Je vous parlerai de ce lieu dans un prochain article.
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